KARAJAN (H. von)

KARAJAN (H. von)
KARAJAN (H. von)

Homme de légende, Herbert von Karajan est certainement l’interprète qui laissera l’empreinte la plus profonde sur la seconde moitié du XXe siècle, tant il a su faire évoluer son art et l’adapter aux moyens de communication de son temps; homme de conflit, il a construit sa carrière autour de deux phalanges prestigieuses, l’Orchestre philharmonique de Berlin (dont il était le chef permanent «à vie») et l’Orchestre philharmonique de Vienne, alternant brouilles et réconciliations avec les responsables de ces formations ou les institutions dans le cadre desquelles elles évoluaient pour l’essentiel de leurs activités (Opéra de Vienne, festival de Salzbourg); le dernier acte commence au printemps de l’année 1989, lorsqu’il décide de quitter les musiciens berlinois. Quelques mois plus tard, le 16 juillet, pendant les répétitions d’Un bal masqué à Salzbourg, une crise cardiaque le terrasse; il succombe dans sa résidence d’Anif, près de Salzbourg.

De Salzbourg à Salzbourg

Heribert (il supprimera ultérieurement le i) von Karajan est le fils d’un chirurgien autrichien dont le bisaïeul, qui s’appelait alors Karajannis, émigra en 1792 de Macédoine (Grèce) à Chemnitz, où il fut annobli par le prince électeur de Saxe. I1 voit le jour à Salzbourg le 5 avril 1908 et commence à étudier le piano en 1912 avec Franz Ledwinka. Apres un passage par le Mozarteum de Salzbourg (1916-1926), Bernhard Paumgartner, directeur du célèbre établissement, l’oriente vers l’Académie de musique de Vienne, où il travaille avec Franz Schalk et Alexandre Wunderer (1926-1929). Il suit également des cours de technologie à l’université. En janvier 1929, il donne son premier concert public, à ses frais. L’intendant du théâtre d’Ulm y assiste et l’engage immédiatement comme chef de chant. Deux mois plus tard, il fait ses débuts lyriques à Ulm dans Les Noces de Figaro et accède rapidement à un poste de chef d’orchestre permanent. L’été, il est assistant au cours de direction d’orchestre du festival de Salzbourg. En 1934, il est engagé comme chef d’orchestre à Aix-la-Chapelle et, un an plus tard, il y est le plus jeune directeur général de la musique de toute l’Allemagne (1935-1941).

En 1937, il fait ses débuts à 1’Opéra de Vienne en dirigeant Tristan et Isolde . L’année suivante, il effectue ses premiers enregistrements pour la Deutsche Grammophon Gesellschaft. Il dirige pour la première fois l’Orchestre philharmonique de Berlin et débute, avec Fidelio , à la Deutsche Staatsoper, où il est nommé à la tête des concerts symphoniques puis chef permanent à l’Opéra (1939-1945). En 1940, il signe à Aix-la-Chapelle sa première mise en scène Iyrique, Les Maîtres chanteurs de Nuremberg , qu’il dirige également.

Pendant l’occupation allemande, il se produit fréquemment à Paris. En 1941, il divorce de la cantatrice Elmy Holgerloef, qu’il avait épousée en 1938, et se marie un an plus tard avec Anita Gütermann. En 1946, il effectue ses débuts à la tête de l’Orchestre philharmonique de Vienne, mais est aussitôt interdit de direction pendant près de deux ans par les puissances occupantes en raison de son appartenance au Parti national-socialiste, auquel il avait adhéré en 1933. C’est l’époque à laquelle il rencontre Walter Legge, directeur artistique des disques Columbia, qui vient de fonder à Londres le Philharmonia Orchestra; dès 1947, Karajan réalise avec cet orchestre, dont il sera chef permanent entre 1950 et 1959, une série d’enregistrements qui comptent parmi les plus remarquables de sa discographie. En 1948, il effectue ses débuts au festival de Salzbourg et à la Scala de Milan (Les Noces de Figaro ) et commence à diriger en Amérique latine. Entre la fin de l’année 1947 et 1950, il est invité régulièrement par l’Orchestre philharmonique de Vienne, mais cette collaboration cesse à la suite d’un différend avec Wilhelm Furtwängler, qui était alors à la tête des concerts des Wiener Philharmoniker. L’année 1950 voit sa nomination comme directeur artistique du festival de Lucerne et comme directeur à vie des Wiener Singverein (Société des amis de la musique de Vienne), où il succède à Furtwängler. Au cours de la saison 1950-1951, il signe ses propres mises en scene (tout en dirigeant) de Tannhäuser et de Don Giovanni à la Scala de Milan; jusqu’en 1957, il y montera également Fidelio , Le Chevalier à la rose , I Trionfi (Carl Orff), Lucia di Lammermoor , Les Noces de Figaro , Carmen , Salomé, La Flûte enchantée et Falstaff . Pour la réouverture du festival de Bayreuth, en 1951, il dirige Les Maîtres chanteurs de Nuremberg et la Tétralogie . L’année suivante, en désaccord avec Wieland Wagner, il quitte le festival après y avoir dirigé Tristan et Isolde .

En 1954, à la mort de Furtwängler, qu’il a remplacé au pied levé, il est nommé chef à vie de l’Orchestre philharmonique de Berlin. Dès 1955, il effectue avec son nouvel orchestre une tournée houleuse aux États-Unis. L’année suivante, il est nommé directeur artistique du festival de Salzbourg (1956-1960). Il succède à Karl Böhm au même poste à la tête de l’Opéra de Vienne (1957-1965), où il instaure une étroite collaboration avec la Scala de Milan et continue à réaliser ses propres productions.

En 1958, il divorce d’Anita Gütermann et épouse un mannequin français, Éliette Mouret.

À l’Opéra de Vienne, où il a remplacé le système traditionnel du répertoire par celui de la stagione , sa direction autoritaire provoque des incidents de plus en plus fréquents; le budget s’élève à des sommes astronomiques et il rompt finalement toutes ses attaches avec la capitale autrichienne en 1964 pour rejoindre le directoire du festival de Salzbourg (1965-1988). Il se consacre alors exclusivement à l’Orchestre philharmonique de Berlin, qu’il emmène en tournée dans le monde entier et avec lequel il entreprend une impressionnante série d’enregistrements pour la Deutsche Grammophon: en 1959, il a renoué avec cette firme, pour laquelle il enregistre en exclusivité depuis 1964 (il enregistrera à nouveau pour E.M.I. à partir du milieu des années 1970). On peut considérer que commence à cette époque la phase essentielle de sa carrière sur le plan médiatique. Il travaille à des projets de films musicaux, notamment avec Henri Georges Clouzot et François Reichenbach, et fonde sa propre firme cinématographique, la Cosmotel, pour laquelle il enregistre une série de huit opéras pour le grand écran, inaugurée par La Bohème , mise en scène par Franco Zeffirelli. En 1968, il crée la fondation Karajan, qui organise un concours international consacré à la direction d’orchestre et aux orchestres de jeunes, une académie d’orchestre avec les chefs de pupitres de l’Orchestre philharmonique de Berlin et un institut de recherche sur la psychologie musicale à Salzbourg.

Entre-temps, il a trouvé un nouveau terrain qui lui permet de poursuivre l’action qu’il avait entreprise à l’Opéra de Vienne: à Pâques de 1967, il inaugure un nouveau festival dans sa ville natale, où il met en scène et dirige lui-même chaque année un ouvrage lyrique qui est enregistré auparavant; il débute avec la Tétralogie . Ce festival sera prolongé, à partir de 1973, par une série de concerts symphoniques à la Pentecôte. Entre 1969 et 1971, il succède à Charles Münch à la tête de l’Orchestre de Paris, avec le titre de conseiller artistique; mais l’aventure tourne court, Karajan ne parvenant pas à obtenir les conditions de travail qu’il souhaite et les autorités françaises lui reprochant le peu de temps qu’il peut consacrer à un orchestre aussi jeune.

En 1977, il renoue avec 1’Opéra de Vienne, où sont reprises ses productions salzbourgeoises.

Passionné par la vidéo, il enregistre, entre 1970 et 1982, une vingtaine d’opéras pour la firme munichoise Unitel avant de fonder sa propre société, Telemondial, à Monte-Carlo, en 1983.

Mais il doit lutter contre une polyarthrite qui l’empêche progressivement de marcher; malgré deux opérations (1975 et 1983), il doit se résoudre à diriger assis à partir de 1985. À Berlin, il entre en conflit avec les musiciens à propos de la nomination de la clarinettiste Sabine Meyer, qu’il avait engagée en 1982 et qui démissionne deux ans plus tard. Karajan menaçant de réduire ses activités aux douze concerts annuels prévus dans son contrat, les choses s’arrangent, provisoirement seulement puisque, en avril 1989, il annonce qu’il cesse ses fonctions à la tête de l’Orchestre philharmonique de Berlin. Un an auparavant, il avait choisi de se retirer du directoire du festival de Salzbourg, où il devait pourtant diriger les représentations d’Un bal masqué de Verdi. L’histoire s’est arrêtée en plein vol, quelques jours avant la première.

L’homme médiatique

Les traits essentiels de son caractère transparaissent dans sa biographie: une volonté incontournable, une autorité intraitable, une recherche constante de la perfection. Chaque étape de sa carrière lui permet de se placer pour les décennies futures: à Ulm, il songe déjà à Salzbourg; à Aix-la-Chapelle, il trouve un tremplin pour Berlin et, pendant qu’il est interdit de direction publique à Vienne, il y enregistre quelques-uns de ses meilleurs disques. Patiemment, il attend la succession de Furtwängler, car il sait qu’elle lui est dévolue. Son passage à la Scala prépare son arrivée à l’Opéra de Vienne; plus tard, il fera des Berliner Philharmoniker les principaux acteurs du festival de Pâques à Salzbourg, pour régler ses comptes avec les Viennois.

La personnalité de Karajan agaçait ou fascinait, mais elle ne laissait jamais indifférent. Aux antipodes du cliché traditionnel de l’artiste, il apparaissait davantage sous les traits d’un homme d’affaires qui avait soigneusement construit son empire au fil des années: en 1984, les musiciens berlinois ont cédé devant lui car ils savaient quelle masse de royalties ils perdraient si Karajan cessait d’enregistrer avec eux. Le jet privé, le yacht, les voitures de sport, Saint-Tropez font partie du personnage. Il possédait un sens inné de la communication et a été le premier interprète classique à comprendre que la musique devait sortir de son sanctuaire pour s’engager dans les différents domaines médiatiques.

Le chef charismatique

Mais Karajan est aussi l’une des figures marquantes de la direction d’orchestre. Il possédait un charisme qui envoûtait les musiciens et lui permettait de mener avec eux cette recherche constante de la perfection. Contrairement à ce que laisse entendre une certaine légende, il n’a pas bâti l’Orchestre philharmonique de Berlin: Furtwängler lui avait laissé un outil de très haut niveau. Il en a fait un orchestre moderne, probablement plus subtil dans le domaine du raffinement sonore et capable de s’adapter à tous les répertoires. Mais, surtout, il est parvenu à créer entre ses musiciens et lui une complicité proche de l’osmose et qui se traduit par une exceptionnelle homogénéité.

Karajan aimait à découvrir de jeunes solistes dont il aidait les débuts en les accompagnant (Christoph Eschenbach, Gundula Janowitz, Hildegarde Behrens, Agnes Baltsa, Anne-Sophie Mutter, François-René Duchâble, Evgeni Kissin...). À l’inverse, la musique contemporaine ne semblait pas l’attirer beaucoup. Parmi les quelques créations qu’il a dirigées figurent des œuvres de Rudolf Wagner-Régeny (Die Bürger von Calais , «Les Bourgeois de Calais», 1939), de Gottfried von Einem (Concerto pour orchestre , 1944), de Carlf Orff (Trionfo di Afrodite , «Le Triomphe d’Aphrodite», 1953, De Temporum finae comoedia , 1973), de Heinrich Sutermeister (Missa da Requiem , 1953), de Fritz Leitermeyer (Rhapsodische Skizzen , 1963) et de Hans Werner Henze (Antifone , 1962). Mais il était surtout un homme de répertoire, qu’il n’a cessé de remettre sur le métier (il a enregistré l’intégrale des symphonies de Beethoven à cinq reprises): après la profondeur des années 1950, son approche gagne en brillant et en spectaculaire, avec une certaine dureté, puis il semble s’enfermer dans un univers de vitesse mal adapté à cette alchimie du son qui s’impose sans cesse davantage chez lui. C’est ce dernier visage qui triomphera; il saura même le pousser jusqu’à la transparence, sans jamais perdre cette vision dramatique ni cette sensualité qui permettent d’identifier ses interprétations à toute les époques de sa vie. «Il a créé un son d’orchestre qui est tout à fait représentatif de sa personnalité», a écrit Claudio Abbado, son successeur à la tête de l’Orchestre philharmonique de Berlin.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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